Pourtant
rien de prédestinait Denise Glaser à la télévision. Elle naît dans
une famille aisée d'Arras. La guerre laisse en elle les traces de la persécution
nazie pour les porteurs de l'étoile jaune. Elle entame des études de
philosophie et rêve de devenir psychiatre.
En 1948 Denise Glaser
rentre à la discothèque de la Radio diffusion française. Puis la
direction de la RTF la charge d'illustrer musicalement le journal
télévisé. Chaque année elle présente au directeur de la RTF un
projet d'émission sur l'actualité du disque. Fin janvier 1959 Jean d'Arcy
le directeur de l'information accepte et lance Discorama. Discorama
naît le 4 février 1959. Jean Kerchbron réalise le programme puis
Philippe Ducrest, Raoul Sangla, Jacque Audoir.... avec aux lumières
André Diot (André Diot assura en 1986 l'éclairage de Lily passion.). A
l'origine Jean Desailly présente Discorama, puis Puis Pierre Tchernia
lui succède en septembre 1961. Fin 1961 jusqu'à fin 1962 Philippe
Noiret et Jean Pierre Darras présentent Discorama tantôt à deux tantôt
seul. A partir de 1963 Denise Glaser présente son émission. Au
fil des changements de directeur Discorama change de jour ou d'horaire.
Les téléspectateurs restèrent fidèles à l'émission. Au
début des années 60 Juliette Gréco chantait : Je hais les dimanches. Et
Denise Glaser par Discorama voulait tant nous faire aimer les sombres
dimanches. Dès 12 h 30 après le jour du seigneur et avant la séquence
du spectateur retentissait une musique bien connue : J'ai du bon tabac….
Durant
plus de quinze ans il en fut ainsi chaque dimanche. Le générique "J'ai
du bon tabac" laissait place à un plateau de studio avec deux
chaises Napoléon III pour tout décor. Au loin des échelles se
dressaient sur un fond blanc. Le réalisateur avait pris le parti de
monter ce que d'habitude la caméra ignorait. Même les caméras étaient
visibles, les micros aussi, ici point de camouflage. Denise Glaser
apparaissait le cheveux noir, l'œil noir et vif.
Pour
faire découvrir de nouveaux talents souvent elle se rendait le soir
dans les salles de spectacles de Paris et de province. Parfois de ses
sorties elle ramenait un ou une inconnue, elle croyait en son art et
lui offrait un passage à Discorama. Ainsi elle fut à la base des
carrières de Catherine Lara, Moustaki, Brel, Hallyday, Ange, Maxime Le
Forestier, Sardou, Yves Simon...
La rencontre était ponctuée de chansons et d'interviews. Elle
parlait peu, écoutait l'invité, écoutait les silences de l'invité. Les
silences importaient plus que les paroles. Ils étaient souvent lourds
de sens, l'émotion naissant ainsi. Elle a ouvert un nouveau genre
d'interview-confidence dans le respect de l'autre. Elle disait :
« Quand on veut que quelqu'un parle et l 'écouter, le mieux
est encore de fermer sa gueule.... » Lors d'un Discorama par son silence Léo Ferré se mit à pleurer à chaudes larmes.
Denise Glaser
invita plusieurs fois Barbara à Discorama les
4 février 1959, 3
mai 1959, 25 septembre
1959, 2 décembre 1960, 1 avril 1962, 6 septembre 1962, 28 avril 1963, 17 mai 1964, 25 octobre 1964, 26 septembre 1965, 20 février 1966, 1 octobre 1967 et 29 décembre 1968.
Denise
Glaser produisit aussi Comme il vous plaira, une sorte de Discorama bis.
Barbara figure plusieurs fois au générique de Comme il vous plaira :
21 juillet 1961, 11 août 1960, 9 mars 1970.
Elle
signe le texte d'une chanson pour Nana Mouskouri en 1967 : Marie se marie
En
mai 68 avec certains de ces collègues elle bouscule par la grève
générale le pouvoir gaulliste. De 68 à 74 la direction de l'ORTF la
prive d'antenne à trois reprises pour ses prises de positions trop à
gauche au goût du ministre de l'information. Les téléspectateurs se
mobilisnet pour qu'elle revienne à l'antenne. Son émission change
d'horaire, de jour au gré des humeurs des directeurs... En 1974 V.G.E
arrive au pouvoir et morcelle l'ORTF en plusieurs sociétés. Après 15
ans de bons services la télévision la remercie. Dimanche 5 janvier 1975
elle présente le dernier Discorama avec pour invité Gilles
Vignault.
Les plus 350 heures enregistrées reposent à
l'INA. Petit à petit l'INA
ouvre sa boite à trésors. Des heures de Discorama peuvent être
visionnées. Et on peut constater aujourd'hui encore la qualité et la
beauté de l'oeuvre de Denise Glaser.
Du jour au lendemain elle se retrouve au chômage. Pour vivre, elle exerce de petits
boulots. Elle prête sa voix pour de la publicité pour Sélection du Rider's digest. Elle réalise des courts métrages.
La gauche arrive au pouvoir en 1981. Depuis longtemps elle espérait. Mais elle ne cherche pas à en tirer profit pour sa
propre carrière. Elle espère. Des producteurs lui font miroiter des projets d'émissions. Mais rien ne se concrétise.
A
Pantin, cachée dans un grand manteau
beige elle applaudit Barbara. Elle suit des yeux son presque double, la
femme qui chante en scène. Elle est heureuse. Dans la salle le tout
show business
se presse. Ces braves gens la croisent crânement.
Ses
anciens amis de monde de la télé, du spectacle l'ont oubliée. Elle vit
isolée dans son appartement de la rue du Pot de Fer. Ceux qui jadis
faisaient le siège du studio 4 pour passer un jour à Discorama
l'ignorent.
De la nature humaine ingrate elle n'en a aucune amertume.
Le
6 juin 1983 elle s'éteint à l'âge de 62 ans. Elle repose au cimetière
Saint Roch de Valenciennes dans le carré israélite. Lors de son
enterrement seules Barbara et Catherine Lara sont présentes avec Pierre Bellemare. Toutes les
deux, seules représentantes de la chanson…
En
février 1986 TF1 diffuse à 23 h 10, tard le soir à la sauvette un
hommage à Denise Glaser... Trois ans trop tard... C'est trop tard pour
verser des larmes....
Témoignages :
Raoul Sangla 1983
[lire l'hommage de Raoul Sangla réalisateur de Discorama]
Catherine Lara 1985 Denise
Glaser, c'était plus qu'important. Elle a flashé, et après m'avoir
écouté chanté, elle m'a proposé de me consacrer une de ses émissions et
de me présenter à une maison de disques si je décidais d'écrire des
chansons. Cette femme exceptionnelle a tenu sa promesse et je lui dois
un début de carrière foudroyant : trois quarts d'heure d'antenne,
la chanson inouïe de pouvoir m'exprimer. Au bout de son voyage, à son
enterrement, il n'y a pas très longtemps, Barbara et moi, la grande et
la petite, nous nous sommes retrouvées comme deux connes pour lui dire
au revoir. En comité restreint. Dans un truc sinistre Barbara 1987 Denise
Glaser c'est une femme magnifique qui a fait toutes ces émissions
formidables. C'est une femme qui était vraiment une femme très drôle.
On peut en parler gaiement parce qu'elle aimerait pas qu'on en parle
tristement et qui a fait beaucoup de choses pour la chanson française
et pour moi elle en a fait beaucoup. C'est une femme lumineuse. C'est une femme extraordinaire dont tout d'un coup on n'a plus parlé, on sait pas pourquoi. Une femme extraordinaire. Claude Dejacques 1994 Denise
Glaser parvenait à transmettre à l'antenne sa subtile alchimie. Elle
avait à l'image cette fragilité des grands médiums, de ces chamanes,
capables de faire passer à travers leurs transes, le merveilleux. En
fait elle avait peur, elle mourait de trac sous l'œil acide de la
caméra, devenue elle-même interprète en duo avec son invité privilégié,
mise à nue, vraie, allant au cœur du sujet pour s'y réfugier dans un
numéro de vérité irrésistible. Plus d'une vingtaine de vedettes
actuelles lui doivent une sortie de l'anonymat, parfois l'arrivée
fulgurante au succès, tout cela pour une simple petite demi heure de
vérité à deux. Bien peu s'en sont souvent. Elle a nous a quitté, amère
sans doue mais tout aussi fière, intelligente et sensible que nous
l'avons connue.
Catherine Lara 1996 Quand
Denise est morte, on était deux à l'enterrement : Barbara et moi.
On s'est regardé toutes les deux, la grande et la petite, on s'est
dit : « Putain, il n'y a pas grand monde ! ». Que
c'est triste l'ingratitude des gens ! Barbara 1997 Denise Glaser !
Ah, Denise Glaser. Le corps de Betty Boop avec un décolleté
vertigineux, une robe de crêpe blanc très moulante à très gros ramages,
un visage de presque madone et une voix grave, presque privée
d'intonations, languide, comme une seule et même note tirée par
l'archet à la contrebasse. Toute pareille à son image sur le petit
écran, la Glaser ! Denise parle de vous messieurs de la télé et du show-biz
Ils
doivent comprendre que je suis un produit de base, je ne suis pas un
produit de luxe. Parce que si découvrir des gens qui ont du talent, si
faire passer la Culture avec un grand C au niveau du quotidien, si
faire des entretiens comme je les faisais, c'est à dire vrais et pas du
battage de supermarché, c'est du luxe… à condition qu'on méprise le
spectateur.
Ils ouvriraient France Soir, ils verraient que je suis morte, ils diraient : quel dommage, elle était si gentille.
J'espère que vous
êtes fiers de vous…. !!!!
Le 1 décembre 2007
France 3 diffuse un documentaire réalise par Esther Hoffenberg :
Discorama, signé Glaser. Après 32 ans d'oubli, de placard la
télévision se souvient de celle qui a tant oeuvré pour la chanson,
pour la Culture, pour l'intelligence du téléspectateur. Merci à Vous
Esther Hoffenberg de dire Madame Glaser et de réveiller les mémoires
assoupies... En
novembre 2008, L'INA propose un coffret de 3 DVD : Discorama. Les trois
disques renferment de larges extraits des émissions de Denise Glaser et
le film réalisé par Esther Hoffenberg. Enfin un hommage grand public
à la hauteur de ce que apporta Denise Glaser à la télévision, à la
chanson, à l'art, à la Culture à l'intelligence. |