Hommage à Denise Glaser par Raoul Sangla

Denise était nature et ne le cachait pas, s’habillant à la ville  comme dans le studio, puisque que l’une à l’autre pareille. Nous en fîmes ensemble la découverte. La télévision n’est pas le cinématographe, ce territoire de métaphores, elle est celui des acteurs de la vie, le plus simplement.

C’était en 1964, Discorama avait débuté cinq ou six ans plus tôt. J’avais découvert l’émission en assistant un maître de l’école des Buttes Chaumont condescendu  à Cognacq Jay pour ordonner la mise en scène que Jean Dessailly agrémentait. Darras et Noiret lui succédèrent quelques années, puis Denise descendit sur le plateau, comme ferait un anonyme célèbre, c’est à dire identifiable, mais toujours étonnante comme ne peut l’être qu’une inconnue qui parlerait par conviction et , quand elle ne saurait pas, elle demanderait, comme on recommande dans les famille populaires. Cette pratique lui a donné l’occasion, plus d’attrait qu’à tels de ses interlocuteurs, des chanteurs dont beaucoup ne croyaient avoir à dire plus que n’en tenait un microsillon, ce qui n’est pas rien au demeurent. Denise les révélait pour ce qu’ils étaient aussi : des citoyens, comme chacun et comme elle, porteurs de croyances communes et d’effrois traversés d’éclats surprenants.

La télévision était ce lieu de vie où la société bat la mesure. Elle parlait en regardant son hôte, déférence dont la pratique se perd dans les studios (voir l’impudence rouée des voyeurs d’icônes). Je filmais la rencontre en renonçant à toute distinction convenue de mise en scène. Le studio 4 devient le territoire de nos rencontres fastes du mercredi. Je le montrais à cru, tout hérissé d’échelles, de projecteurs sur pied, de caméras, d’outils pour ainsi dire que l’on cachait partout ailleurs. Le plateau redevenait ce lieu que le travail ordonne. Nous inventions les pièges de lumière (André Diot) et du cadrage (cohorte de mes cadreurs fervents et familiers dont les noms circulaient pour l’embauche à venir sur les plateaux voisins). Qui écoutait nous importait autant que le parleur. Les silences vivaient, dedans l’échange. Je ne savais jamais ce que dirait Denise et ce que l’instant révélerait. Elle ignorait de même le tableau de nos chasses avant la projection. Nous allions l’un vers l’autre, à notre pas, vers l’estuaire dominical où se jetaient nos signes. Nous les savions mêlés aux bruits de ces repas que partageaient, à l’heure, les familles du temps... Les artistes de music hall redevenaient des gens comme nous (ils y avaient quelque mérite). La socialité, vous dis je. Si, si, c’est l’affaire de la télévision (le spectacle c’est en plus) les sociétés de programmes ne partagèrent pas ce point de vue. Elles ont rejeté Denise dès leur création en 1975. Elle est devenue chômeuse. Anonyme, j’y reviens. Nous sommes quelques uns à avoir cru comme elle à la télévision de service public, grand famille. Les parâtres n’ont pas tardé.

Il y a quelques mois j’embrassais Denise pour la dernière fois. Elle m’avait appelé pour reprendre la route (une certaine promesse d’émission). Elle était comme toujours nature, sans illusion ni d’amertume ou nostalgie au terme de cet exil professionnel que nous espérions réel. L’exil ne cessa pas. Elle confiait à un ami ces derniers temps la visite qu’elle avait rendue au Président de la république.

- « As tu au moins parlé de ta situation ? »

- « Non. Il a bien assez de soucis comme ça. »

Denise était nature et ne le cachait pas.

1983


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