Station de métro Charonne

Métro Charonne, Paris le 8 février 1962


1962, après des décennies de combats, d’attentats, de milliers de morts, l’indépendance de l’Algérie se profile.

A la suite du putsch des généraux, le président de la république Charles de Gaulle décide l’application de l’état d’urgence en avril 1961 sur le territoire français.

En cette fin d’hiver, des attentats meurtriers revendiqués par l’OAS (Organisation de l’armée secrète) éclatent.

Face à ses attentats des syndicats, des partis politiques et le mouvement de la paix rédigent un communiqué appelant à manifester le jeudi 8 février 1962.

Appel à manifester

«Les assassins de l'OAS ont redoublé d'activité. Plusieurs fois dans la journée de mercredi, l'OAS a attenté à la vie de personnalités politiques, syndicales, universitaires, de la presse et des lettres. Des blessés sont à déplorer ; l'écrivain Pozner est dans un état grave. Une fillette de 4 ans est très grièvement atteinte. Il faut en finir avec ces agissements des tueurs Fascistes. Il faut imposer leur mise hors d'état de nuire. Les complicités et l'impunité dont ils bénéficient de la part du pouvoir, malgré les discours et déclarations officielles, encouragent les actes criminels de l'OAS.

Une fois de plus, la preuve est faite que les antifascistes ne peuvent compter que sur leurs forces, sur leur union, sur leur action. Les organisations soussignées appellent les travailleurs et tous les antifascistes de la région parisienne à proclamer leur indignation, leur volonté de faire échec au fascisme et d'imposer la paix en Algérie. »

Les organisations syndicales CGT, CFTC, UNEF, SGEN, FEN et SNI signent le texte. Le PCF, le PSU et le Mouvement de la paix s'y associent.

S’appuyant sur l’état d’urgence en cours, la préfecture de Paris interdit cette manifestation.

Le matin du 8 février, le préfet de police de Paris reçoit une délégation syndicale. Elle informe Maurice Papon que la manifestation aura lieu et demeurera pacifique.

Le préfet de police de Paris Maurice Papon et le ministre de l’intérieur Roger Frey mobilisent : 13 compagnies d’intervention (1000 policiers), 11 escadrons de gendarmerie (820 hommes) et 3 compagnies de CRS (360 hommes).

En fin d’après midi plusieurs groupes de manifestants tentent de converger vers la place de la Bastille. Aux abords de certaines stations de métro de la capitale les forces de l’ordre dispersent les groupes formés. Consigne leur étant donnée d’éviter la formation des groupes aux points de rassemblement. A partir de 18 h 30 aucun regroupement  sera toléré.

Les organisateurs demandent aux manifestants de rester calmes.

Le 3ième division charge alors les manifestants sur le boulevard Voltaire au niveau de la rue de Charonne. Au même moment la 61ième division bloque le boulevard Voltaire plus en aval au niveau de la place Léon Blum pour prendre les participants en tenaille. Devant cet assaut les manifestants se réfugient dans les halls d’immeubles, certains empruntent les escaliers menant à la station de métro Charonne. Les forces de l’ordre poursuivent les manifestants jusque sur les quais de la station. Dans la bousculade plusieurs personnes tombent en descendant les marches. D’autres participants trébuchent sur les gens à terre et tombent à leur tour. Depuis le boulevard Voltaire, du haut des marches, des forces de l’ordre jettent sur les gens à terre des grilles de fer.

Des ambulances évacuent les blessés vers les divers hôpitaux de Paris et établissements de santé proches. Le journal L’Humanité comptabilisera 250 blessés pour 60 00 participants.

Au soir du 8 février les hôpitaux enregistreront la mort de huit manifestants de 58 à 15 ans :

- Jean Pierre Bernard, dessinateur, 30 ans, né en 1932, décès déclaré à l'Hôpital saint Antoine 21 h le 8/2

- Fanny Dewerpe née Kapciuch, secrétaire, 31 ans, née en 1931, décès déclaré à l'Hôpital saint Louis à 20 h 50 le 8/2

- Daniel Féry, apprenti, 15 ans, né en 1946, décès déclaré à l'Hôpital Trousseau à 20 h 45 le 8/2

- Anne Claude Godeau, 24 ans, née en 1938, décès déclaré au centre de santé des métallurgistes; 9 rue des bluets à 21 h, le 8/2

- Hippolyte Pina, maçon, 58 ans, né en 1903, décès déclaré à l'Hôpital saint Antoine à 0 h, le 9/2

- Edouard Armand Lemarchand, vendeur de journaux, 40 ans, né en 1921, décès déclaré à l'Hôpital saint Antoine à 20 h 30 le 8/2

- Suzanne Henriette Elise Martorell, 36 ans, née en 1926, d décès déclaré au centre de santé des métallurgistes; 9 rue des bluets à 21 h, le 8/2

- Raymond Wintgens, imprimeur, 44 ans, né en 1918, décès déclaré à l'Hôpital saint Antoine à 21 h le 8/2

Le premier ministre Michel Debré apporte le témoignage de sa confiance et de son admiration aux forces de police le 12 février.

Le lendemain se déroule les obsèques des victimes au cimetière du Père Lachaise près du mur des Fédérés. Une imposante foule suit le cortège.

Le 20 avril 1962, Maurice Fernand Pochard, 48 ans, né en 1914, décès déclaré à l’Hôpital Pitié Salpétrière à la suite de ses blessures.

Une loi d’amnistie votée le 17 juin 1966 couvre les répressions des manifestations de 1961 et 1962.

Une plaque commémorative rappelle aux passagers de la RATP, dans les couloirs de la station Charonne que neuf personnes moururent victimes de la répression.

Plaque commémorative dans la station de métro Charonne

Depuis le 8 février 2007, le carrefour à l’angle de la rue de Charonne et du boulevard Voltaire porte le nom de place du 8 février 1962, date de la manifestation contre la guerre d’Algérie où neuf manifestants trouvèrent la mort au métro Charonne.

Place du 8 février 1962

Lény Escudéro en 1967 écrit et compose : Je t’attends à Charonne en souvenir du 8 février 1962. Juliette Gréco reprend ce titre cette même année.

En 1978, dans Sacco et l'autre, Lény Escudéro chante : "De Guy Moquet au vieux Lamarck, de Lorca à Daniel Féry, il n'y a pas qu'au Danemark que quelque chose soit pourri...." Daniel Féry mourut ce 8 février, il avait 15 ans.

Pour les cent ans de la commune de Paris en 1971, l’artiste plasticien Ernest Pignon réalisera un collage sur les marches de la station de métro (Les Gisants) rendant hommage aux morts de la station Charonne.

Renaud en 1975, dans Hexagone dit : "Ils sont pas lourds en février à se souvenir de Charonne, des matraqueurs assermentés qui fignolèrent leur besogne...."

Lény Escudéro, Je t'attends à Charonne Juliette Gréco, Je t'attends à Charonne Lény Escudéro, Sacco et l'autre Renaud, Hexagone

Parmi les manifestants du 8 février en autres se trouvaient François Maspero, Marina Vlady, Barbara…

Dans l'ombre de CharonnePour poursuivre ce retour à Charonne lisez Dans l'ombre de Charonne, de Désirée et Alain Frappier aux éditions Mauconduit paru en 2012 avec une préface de Benjamin Stora. Une lycéenne de 17 ans participe à la manifestation et nous rend l’air de ce temps.


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